C’est à ce moment-là que surgirent trois nymphes. Tout en voiles, cheveux clairs et air gentil, elles marchaient comme si elles avaient pu courir, pointant vers l’avant leurs menus pieds et leurs rachitiques jambes. Elles se dirigeaient visiblement vers la clairière de l’Académie.

— Oh là mignonnes ! s’exclama Gabuchon. Inutiles de vous affoler, la cérémonie du château est terminée.

— Mais, qu’est-ce qu’on s’en fiche, gros bêta. On a une nouvelle urgente de l’orée du bois à apporter aux passeurs !

— Parlez ! ordonna Samantha.

Les nymphettes ouvrirent de grands yeux et se regroupèrent comme un bouquet de nénuphars. J’observai Ashley du coin de l’œil. On s’habituait assez vite à ce teint de perle, mais je m’inquiétai des dernières paroles l’autre créature qui avait incendié mon dos de frissons échauffés. Sa face vibrait joliment, mais je craignais que cela ne soit pas un bon présage.

— … à plusieurs autres déjà ! poursuivit la plus grande nymphe. Ils se sont tous laissés faire docilement. C’était consternant !

— Même s’il est très beau ! renchérit celle qui avait les cheveux bleus.

J’avais été distraite un instant et je ne comprenais rien.

— Oh oui, moi je veux bien qu’il me chevauche s’il veut, rougit la plus petite.

— Sur combien de dos cet éphèbe a-t-il déjà posé sa selle ? interrogea Ashley.

— Un centaure d’abord ! Qui a paru beaucoup apprécier. Mais quand il est parti au galop après avoir été désanglé, j’ai vu sa silhouette se développer dans des dimensions impossibles !

— Une nymphe, reprit la grande figure filiforme.

— La chance ! gémit la petite.

— Mais tais-toi, huche à lait ! N’as-tu pas remarqué comme elle s’est pâmée puis a fini par ramper tel un serpent entre les hautes herbes ?

— Un gnome ! Et il est devenu tout noir et trapu !

— Un satyre et je ne préfère pas évoquer ce qu’il s’est produit alors…

— Un poète !

— Tu as vu comment il s’est transformé le poète, toi ?

— Oui ! Sa capuche s’est rabattue sur son visage. Ses habits se sont allongés et lui aussi a grandi.

— Il y a eu ce hibou aussi. La belle créature d’homme aux yeux d’or l’a débusqué dans un trou d’arbre. Il a tapé deux fois sur le haut de sa main et l’oiseau l’a rejoint malgré le jour et surtout la sagesse qu’on leur prête. Il s’est perché majestueusement sur son poignet. Alors l’éphèbe l’a caressé et le hibou s’est étiré comme s’il livrait son dos à la selle. L’homme a saisi le caparaçon de cuir doré à ses pieds et a chargé le volatile. Les sangles l’ont enserré d’elles-mêmes. Les plumes se sont ébouriffées en tous sens. Je ne distinguai plus la forme du hibou. En tout cas, il l’a enfourché avec un sourire terrible et tous deux se sont envolés.

— À combien on en est ? interrogea Samantha à la ronde.

— Six ! m’exclamai-je.

J’avais mis un point d’honneur à suivre cette fois-ci.

— C’est affreux ! repris-je. Je crains que cela ne soit moi qui ai lâché ce cavalier dans notre monde !

Tous les regards se fixèrent sur moi alors j’expliquai rapidement comment Théobalde m’avait faussé compagnie en quelque sorte.

— Combien d’autres ? tonna Samantha en se tournant à nouveau vers les nymphes.

— Nous n’avons pas pu voir la suite ! répliqua la plus grande en tapant du pied, les mains campées sur ses hanches. Voilà pourquoi nous sommes venus en référer au plus vite à l’Académie !

— Oui parce que si l’on y réfléchit, ça ressemblait un peu à un rêve fou lâché dans la nature, ajouta celle aux cheveux bleus.

Le silence tomba un instant. Les nymphes se désintéressèrent de notre air hésitant et reprirent leur chemin.

— Que fait-on alors ? demandai-je d’une voix que j’aurais voulue plus posée.

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