Une peau grumeleuse et humide vibra sous la pulpe de mes doigts. Je refermai délicatement ma prise et je sentis un vif battement de patte qui tenait plus du réflexe que de la mauvaise grâce. Le corps du batracien se recroquevilla en signe de bonne volonté et je le sortis de ma besace avec précaution malgré le galop fou qui m’emportait sur la plaine de ce rêve.
Théobalde me découvrit avec son air blasé habituel, mais jeta bien vite un coup d’œil globuleux à notre monture fougueuse et au paysage qui défilait. Avec un tressaillement affolé, il reposa son regard sur moi, j’écarquillai les yeux et la communication s’établit aussitôt.
— Coawww ? Coaw que ça ?
— Théobalde, j’ai besoin de toi !
— Ma, où swoa ?
— Je ne sais pas ! Peut-être au milieu d’un cauchemar déjà à l’œuvre.
— Ma pourcoaw, coawment ? Toaw encore bêtises Gabuchon ! Où ça lui ?
— Mais non ! Il n’est pas avec moi ! C’était le jour de la poterne. J’en ai trouvé une, mais elle m’a mené dans cette mouise !
— Twoa pas ça comme il faut !
— Ouais je l’ai franchi un peu de traviole. Mais bon on s’en fiche ! Faut que tu nous sortes de là.
À ces mots, je me sentis presque défaillir. Avec le son de ma voix s’étaient éteintes toutes mes forces, d’un coup. Le crapaud quant à lui remonta sa babine inférieure pour manifester sa plus profonde circonspection. J’avais les crocs ou alors très sommeil. Peut-être fallait-il juste que je repose mes muscles un instant ? Mon cou peina à supporter le poids de ma tête et je piquai du nez sur le flanc de ma ravisseuse. Je sentis le crin dru et mouvant sous mes lèvres. Ma dernière action fut de contempler le corps de la grande femme qui n’en était plus une. Sa crinière m’enserrait à présent. Ses oreilles se dardaient vers sa funeste destination. Ses naseaux écumaient de frénésie. Et ses sabots battaient la mesure d’une sombre invocation dont j’étais la composante. Son puissant poitrail happait rythmiquement mon envie de vivre et de fureter dans les passages. Mon énergie me désertait peu à peu et je ne pus que murmurer le nom de Théobalde.
— Twoa pas peur !
Il sauta mollement vers mon visage, faillit glisser de la monture tout entier, mais accrocha sa patte gluante sur ma lèvre au dernier moment. La bouche abandonnée à sa pénible ascension, je goûtai un instant un parfum d’étang. Puis avec un toucher au bruit de succion, il parvint enfin à mon front, sortit sa langue au contour indistinct et l’ancra avec une lèche affectueuse au-dessus de mon nez. Vu de si près je constatais impuissante ses manières lentes et désinvoltes. Son œil pivota vers le ciel caverneux et en apprécia les potentialités. Son doigt rond d’abord, sa patte ensuite se lancèrent vers le haut. Son membre déjà fin s’étira démesurément comme la fronde de Gabuchon puis tira son corps trapu et moi à sa suite.
— Où crois-tu aller vermine ? hurla la jument qui continuait d’avancer par ruades. Tu es mon écuyère à présent ! Tu peux toujours t’enfuir c’est moi qui ait pris les rênes d’un songe plus grand que ce sanctuaire. Va, trotte, galope, mais je ne serai jamais loin derrière toi !
Elle jeta ses sabots dans notre direction, soulevant sa croupe dans un mouvement furieux alors que nous nous éloignions vers un quelconque point d’accroche, espérai-je de tout mon cœur.