— Mais ce n’est pas possible, m’écriai-je. Je ne peux pas juste rêver d’Ashley. Et puis je ne sais pas comment. D’habitude, moi, j’arrive au milieu de presque rien et je me mets à courir. Alors le songe s’étend autour de moi. J’ai toujours eu beaucoup de facilités. Les prairies se dessinent. Les créatures se forment. Puis l’histoire tressaute un peu comme elle veut. Je ne sais pas ce que je fais ni ce que je rêve ! Même mes araignées dansent bien comme elles le désirent et c’est ça qui est chouette. J’ai l’impression d’avoir perdu ma muse en même temps que mes larmes et le reste. Comment faire pour combler le manque, l’absence et l’oubli !

Gabuchon m’écoutait avec des yeux ronds. Samantha avait basculé son poids sur ses talons et se frottait le menton.

— Et puis, je ne pige rien ! Pourquoi compter les montures était-il important ? La Jument, j’ai bien compris, mais les créatures scellées ! Pourquoi ce n’était pas un poète ? Et qui est le Souverain d’Ashley ? Et pourquoi, vous, il ne vous bouleverserait pas Théobalde ? Parce que vous êtes parfaite ? Une formidable esthète du rêve sans émotion et sans âme. Alors oui, moi je me suis laissée séduire un instant. Son charme est puissant. Oui, son baiser était troublant et chaud.

— Tu… Tu l’as embrassé ? demanda Gabuchon d’une voix faible.

Samantha leva les yeux au ciel. Oui. Exactement. Les billes prirent leur élan depuis une position basse, roulèrent sur le côté puis se hissèrent sous les paupières qui eurent l’air de trembloter en se fermant, le tout accompagné d’une lèvre inférieure molle et soupirante. Je tournais mon regard vers Gabuchon dont les sourcils semblaient couler sur ses tempes.

— Non ! Si ! Mais je n’aime que toi. Tu sais bien ! Ne sois pas triste, Gabuchon.

— Mais arrêtez ce drame, s’il vous plait, scanda Samantha en scrutant de part et d’autre. Cela ne me plait pas trop.

Je m’étais lancée au côté de Gabuchon qui tenait sa tête basse.

— Et tu sembles beaucoup regretter Ashley, chuchota-t-il. Que se passe-t-il, Martha ?

— Ceci est une peine de cœur ! commenta le Dodu d’une voix pleine. Je répète ceci est une peine de cœur et dans les circonstances actuelles, inquiet je suis !

— Moi aussi, tonna la chasseresse qui scruta le ciel.

L’herbe blanchit à mon genou. Gabuchon frissonna sous ma main. Les feuilles se cristallisèrent autour de nous, puis le périmètre de givre s’élargit à perte de vue dans la forêt et sur la clairière de l’Académie. Les chaumières scintillèrent sous un soleil froid. Un souffle blanc sortit de ma bouche lorsque je collai mon visage contre le sien. Je vis le Dodu lever ses bras souples d’un seul coup, la bouche grand ouverte quand son fût de chêne glissa sur le rebord gelé de la pente. Sa suite bondit vers la clairière avec lui.

— Ce n’est pas moi, dis-je. Ce n’est pas de ma faute ! L’ange m’a soigné. Je suis juste triste, mais c’est tout.

— Je te fais confiance, murmura Gabuchon alors qu’il me regardait à nouveau et caressait mon épaule.

— Bon les marmoussans, fini la comédie, cette fois ! Je crois que votre monde est fichu. En tout cas gelé pour l’heure !

— Les montures créées dans ce monde ont dû le quitter, pour sûr ! cria le Dodu en continuant sa descente.

— Alors, nous aussi on décolle. On reste groupés, je vous emmène !

— On aurait pu prendre le Dodu pour être quatre, gémis-je.

— Trop tard, dit Samantha.

Je vis Gabuchon ramasser quelque chose à nos pieds et en chasser le givre. Alors qu’il se relevait, il plaça ma mèche coupée sous ses grosses narines généreuses et la huma avec un petit sourire. Je lui sautai tout entière dans les bras. Samantha lui attrapa l’épaule et piouf. Je ne sais pas trop comment cela fonctionnait, point de poterne, de gonds, d’embrasure, de grand vide, mais beaucoup de vent et de glissades. Et piouf !

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