Un instant, j’eus envie de commencer une danse de la joie. Nous défaisions les montures les unes après les autres. Gabuchon semblait hors de danger même si la forme rabougrie du cheval qu’il avait incarné ressemblait pour l’instant à une grosse araignée aux pattes contractées. Ashley était réapparue et ses courbes généreuses n’étaient pas pour me déplaire. Quant à Samantha, elle m’avait offert un sourire penché qui avait paru plutôt chaleureux. La situation n’était pas si désespérée et j’aurais même pu dire que je prenais un certain plaisir à jouer, moi aussi, la chasseresse ou la tueuse de cauchemar ! Ou plutôt la dompteuse de songes obscurs… de cauchemars hippiques, d’hypnoses hippiques…

Samantha cria mon nom, et j’eus tout juste le temps de me jeter au sol. Les sabots du septième cheval, l’un des destriers squelettiques, frôlèrent assez ma jambe pour que je frémisse de la douleur que ses ruades pourraient causer. Je massai mon mollet en admirant alors la danse de la chasseresse. Elle émit un claquement de langue impérieux vers l’affreux cheval. Il tourna court réceptif à la provocation. Avec un petit coup d’œil pour les deux autres créatures qui convergeaient dans une boucle frénétique autour de nous, elle recula de quelques pas en diagonale pour orienter sa charge. Elle parut prête à l’empaler sur une quelconque arme dont elle avait le secret quand elle bondit dans une course puissante de côté. Le cheval dérapa dans un tournant penché apte à la piétiner, mais son galop vint heurter de plein fouet la monture trapue et noire devant laquelle Sam avait plongé. Elle se redressa un peu plus loin. Son regard perçant évalua la situation. Les deux créatures s’entremêlaient au sol, anéanties par leur fusion.

Moi j’entamai ma danse de la joie, les bras levés quand je fus soulevée d’une avancée prodigieuse. Un boa m’enserrait et me collait contre un flanc d’écailles. Les araignées m’étaient tout à fait charmantes, mais pas les serpents m’insupportaient. La monture reptilienne galopait sur ses multiples pattes hideuses et m’emportait loin de mes amies. De sa panse remontèrent d’autres serpents qui s’employèrent à me frapper de leur nez. Lorsque je fus totalement déboussolée et démunie, je sentis les crochets dans ma chair. Puis la brûlure du venin s’infiltra dans mes muscles. Mes membres s’amollirent comme des linges détrempés et les serpents cessèrent de me harceler quand mon corps entier battit au rythme de l’allure. La nausée accompagna l’étouffement. Un fourmillement piquant parcourut ma peau. Ma vision commença à se brouiller. En fait, de formidables aventures, je pensais désormais que la mienne s’arrêterait là.

Alors le boa lâcha sa prise, et je roulai derrière les sabots qui s’éloignèrent. J’aurais donné beaucoup pour boire un peu. Je cherchai Sam du regard. Elle courrait vers moi. De l’autre côté naquit une lueur éclatante. Le paysage perdit toutes ses ombres. Je réunis toute ma force pour tordre cette gorge douloureuse et tourner mes yeux vers le haut de la pente sur laquelle je reposais.

Le kiosque doré brillait de mille feux et délavait jusqu’au blanc la forme de la monture serpent qui s’éloignait à flanc de colline. Dans la lumière immaculée, je distinguai à peine le cavalier devant le lit. Par ses mouvements plus que par sa silhouette, je compris que la jument se redressait à ses côtés. Son long cou tendit sa face vers lui. Son corps se cambra quand elle s’approcha tout entière. Ses doigts dansèrent le long de l’étoffe d’un rideau. Je crus voir l’homme sourire d’un rictus victorieux. Il empoigna lui aussi le pan de tissu et la brillance dans l’air cessa aussitôt qu’ils masquèrent la scène à notre vue en rabattant les voiles.

Alors l’affreuse démangeaison se renforça à la racine de chacun de mes poils. Je serrai ma besace fort contre moi et je compris soudain la puissance inéluctable des rêves. Chaque chose a sa place et son rôle. C’était peut-être la dernière leçon que j’apprendrais, mais elle tenait d’un principe fondamental des rêves que je me devais de transmettre. Samantha descendit sa grande silhouette à mon niveau. Ses yeux se plissaient un peu troubles pour une fois. Ashley nous contemplait le visage fermé.

— Démangeaison, murmurai-je. Sur mes poils…

— Elle divague, chuchota Sam.

— Non attends ! dit Ashley.

— Cynorhodons… C’est du poils à gratter… Boiterie dans le lit…

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