Je me retrouvai seule ne sachant pas ce qu’il était advenu de Théobalde. Je jetai ma besace dans mon dos et avançai droit devant. Je reconnaissais la vibration de nos bois et je ne doutais pas que j’allais prestement dénicher une trace connue vers l’Académie. Je traversai une mer de fougères lorsque je vis un cercle de pleurotes qui alléchèrent mon estomac vide. J’avais besoin de manger. Qui sait combien de temps je m’étais absentée prise dans cette étrange tourmente ? Bien qu’il me tarde d’en référer aux autres passeurs, je m’arrêtai un instant pour cueillir quelques spécimens. La teinte orangée du premier champignon me fit saliver et je le gobai prestement. Il laissa une pointe d’amertume boisée originale au fond de ma gorge. J’en attrapai un deuxième que j’écrasai sur le bout de ma langue avec la ferme intention de le déguster à sa juste valeur cette fois-ci. Quelle ne fut pas ma surprise quand son parfum capiteux et tout à fait inhabituel atteint mes naseaux en même temps que mon palais ! Il avait un goût doucereux et résiné qui finit par attaquer mes papilles d’une âpreté pas désagréable. Certaine d’avoir affaire à des pleurotes, j’en jetai à nouveau deux tout entier dans ma bouche. Ils explosèrent d’un arôme puissant de musc plus intense. Alors le picotement se fit feu et cerna le pourtour de ma langue. Cette fois, je crachai mes restes de salive et me rinçai à l’eau de ma gourde.

Je poursuivis ma route navrée de sentir la faim me tenailler encore. Elle divertissait mes pensées avec les cakes aux pommes de l’Académie et dérobait l’entrain de mon pas. Je reconnus un lointain sentier au sortir d’un terrain bourbeux et je me mis en devoir de presser mon allure. Je croisai quelques ronciers et accumulai avec plaisir une pleine poignée de mûres au creux de ma main. Quand ma cueillette s’avéra satisfaisante, je laissai rouler les petits fruits dans mon gosier. Un sucre fumé emplit peu à peu mes sens et je souris d’aise. Mais de fil en aiguille, les baies parurent enfoncer des épines dans mes muqueuses. J’en expulsai le maximum sur ma paume ouverte, mais aucun bout de feuille ou de branchage ne permit de supposer que j’en avais arraché et avalé par erreur. Elles étaient tout bonnement immangeables ou alors j’étais poursuivi d’une malédiction jetée par la Jument. Elle avait promis de n’être jamais loin derrière moi. Soudain je me retournai sur le sous-bois paisible et bien sûr je m’y tenais seule. Pourtant, mon regard s’arrêta sur les buissons de mûres qui m’entouraient. Là où j’avais laissé quelques billes boursouflées, je vis scintiller un éclat doré. J’approchai mon visage des baies. Les boutons de pulpe fruitée se sertissaient tels des bijoux noirs dans un maillage d’or à présent. Deux fois déjà, la richesse du métal jaune avait accompagné mes désagréments. Je pris une baie entre mes doigts. Le fruit était souple et juteux, mais il avait résolument changé. Je tendis la pointe de ma langue vers la goutte violacée gonflée sur mon index. Le jus brûla aussitôt ma chair et je crachai, bavai, pestai tant que je pus dans une gigue furieuse qui me permit de me défouler sur le sol avec mes talons.

Je poursuivis mon chemin avec une angoisse affamée puis je découvris dans l’écrin de tortueuses racines de nouveaux pleurotes cette fois-ci poudrés d’or. Alors je me mis à courir de toutes mes gambettes en tentant de semer mon inquiétude.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *