Un courant d’air glacial parcourt le couloir blanc. Le plafond se perche à trois mètres, subtilisant jalousement la moindre tiédeur du vieil opéra. Les huisseries des fenêtres laissent pénétrer le froid de décembre et j’ai oublié mon caraco et mes jambières dans les vestiaires. Je me dirige vers la scène par la porte dérobée qui mène à jardin et j’attends derrière les autres. L’amas de silhouettes diffuses sous le tulle, entremêlées par le trac et la camaraderie, ne prévient en rien le vent de se ruer par l’étroit passage. Mes pieds sont gelés, serrés dans leurs chaussons. Une lame de froid glisse sur mes chevilles et le frisson remonte lentement le long de mes jambes.

Je ne laisserais pas l’angoisse me gagner alors quand la sensation atteint mes cuisses, je reprends mes pointes et mes échauffements. Je m’étire, lançant mon bras vers le haut, puis bien loin sur le côté avant de redescendre vers le sol comme si j’allais délicatement recueillir un peu d’eau dans le creux de la main, comme me l’a appris madame Němcová, ma professeure de danse. Surtout, j’évite de prêter attention aux regards curieux des anciennes qui me jugent.

Nous entrons enfin sur le plateau. La directrice se tient là, au bas de l’estrade et la maîtresse de ballet, à ses côtés, nous appelle d’une voix dure. Les danseuses s’avancent les unes après les autres. Je me redresse. J’ai peur de ne pas avoir entendu mon nom. Je masse ma nuque pour finir de réchauffer mon corps. Elle le prononce enfin et je m’élance pour cette toute première traversée d’entrechats.

— La vie, c’est un grand lac glacé, m’a toujours dit madame Němcová avec son accent tchèque. Osmělit se ! Entre dans l’eau. Tu sais nager. Alors, nage ! Danse !