« C’est dangereux ? »
Papa me serre dans ses bras.
« Pas du tout, ma puce. Certaines araignées sont dangereuses, bien sûr, comme la veuve noire. Mais celle-ci ne l’est pas du tout.
— La veuve noire, comme dans les comics ?
— Tout à fait ! Avec le même sablier rouge sur fond noir que la super-héroïne. Du coup, elle est facile à reconnaître.
— Alors pourquoi elle ne crache pas de la toile, comme Spiderman ?
— Euh… bonne question ! Je crois que son nom est plutôt métaphorique, tu sais, elle n’a pas été mordue par une araignée, elle.
— Mais du coup, c’est dangereux ? »
Shit. Est-ce que je suis à nouveau en train de dériver dans l’espace et le temps, au milieu des étoiles ? Je n’y vois rien. Je n’aurais sans doute pas dû fermer les yeux quand la phoneutria nigriventer s’est approchée de moi (je refuse de l’appeler araignée-banane) (je refuse de penser à l’autre raison pour laquelle elle s’appelle araignée-banane).
« C’est dangereux ? »
Eva me regarde et rit.
« Alors toi, Sam, qui n’as peur ni des loups ni des ogres, ni des oni ni des diables, tu as peur des araignées ?
— Je n’ai pas dit ça !
— Non seulement elles ne sont pas dangereuses, mais elles sont de notre côté. Pourquoi penses-tu que les attrape-rêves ont cette forme ?
— Je ne crois pas aux attrape-rêves.
— Tu es drôle ! Tu ne crois en rien.
— Je crois en la science.
— Les Ojibwe ont une science des attrape-rêves. Les Japonais aussi. Evidemment, le baku ne ressemble pas du tout à une araignée et leur Jorōgumo n’est pas du tout sympathique.
— Mais du coup, c’est dangereux ? »
Revoilà la femme dans les étoiles. Eva, est-ce que c’est toi ? Est-ce que si je me mets à rêver de toi c’est que je suis suffisamment proche du bord ? Je ne devrais pas appeler ça le Bord. Le Bord, c’est celui du lit, celui qui sépare le rêve de la réalité. Ce n’est pas la mort. Aucune raison d’avoir peur de dire Son nom, je la connais, et ce n’est pas un cauchemar.
« C’est dangereux ? »
Le Professeur Nightwalker hausse les sourcils.
« Etrangement, non. Je sais ce que vous pensez. Peut-être même que certains d’entre vous ont fait des cauchemars d’araignées, à la Frodo, à la Ron. Quand cela vous arrive, c’est un bon signe que vous n’êtes pas très loin du Bord, que vous n’êtes pas entrés dans le Rêve Profond.
— C’est surtout signe qu’il faut se réveiller !
— Surtout pas. Dans le Rêve Profond, si vous voyez des araignées, c’est une excellente indication de vos progrès. Vous constaterez qu’elles ne sont pas agressives. La plupart du temps, elles se tiennent en arrière-plan…
— Pour nous sauter dessus par surprise, c’est bien connu !
— Mais non. Elles sont en arrière plan parce qu’elles tissent la trame-même des Rêves. Si vous les voyez, c’est que vous êtes arrivés à un plus haut niveau de conscience. Ou d’inconscience, c’est selon.
— Mais du coup, c’est dangereux ? »
Bien sûr que ce n’est pas Eva. Elle ouvre à nouveau la bouche sous sa couronne d’étoiles, et je sais qui elle est. Ariane, qui tient le fil. Le fil de ma vie. Ariane, ou une Parque ? Ses yeux brillent comme des couteaux et je lis sur ses lèvres : Couper, couper… N’est-elle pas censée être plutôt bénéfique ? Maintenant que je connais la nature de son fil, je n’en suis plus si sûre… Thésée ne devait surtout pas perdre le fil, ni le couper, il se serait perdu dans le Labyrinthe…
Mais tu n’es pas cet abruti de Thésée ! articulent les lèvres stellaires. Coupe ce putain de fil.
Alors je coupe, et je tombe, encore une fois. Mais je tombe où ? Est-ce que je peux faire confiance au P.O.F. pour tomber au bon endroit ? Je voudrais bien que quelqu’un soit là. Eva, ou le Professeur, ou Ashley, ou même…
Le Rebond.
Je tombe, et rebondit, et rebondit encore, légère, élastique, comme sur un gigantesque matelas. J’y suis. Je glisse sur le ventre et m’arrête à cinq centimètres des sabots de braise et de ténèbres.