II. MERS INTERIEURES (TROUVER SES)

La troisième BRANCHE* (voir aussi TENTACULES*) de l’initiation des Cartographes, et sans doute celle qui a donné lieu au plus grand nombre de gloses, de théories fumeuses, et de plaisanteries d’un goût incertain.

On citera sans s’y attarder la thèse des Cartographes Élémentaires, convaincus que la source de leur pouvoir repose dans le fragile équilibre entre le Sec et le Mouillé, lequel ne pourrait être obtenu sans puiser dans lesdites “mers intérieures” à travers diverses techniques de méditation.

On accordera à peine plus d’intérêt à la théorie du “Matriarcat Originel des Cartographes” (MOC) de Xandra INCOGNI*, laquelle affirme que des erreurs de transcription d’une tradition oral ont transformé les “Mères” en “Mers” et qu’il conviendrait donc que les jeunes Cartographes parviennent à se placer sur une lignée matrilinéaire, à se trouver des “mères de cœur” qui joueraient le rôle de mentors, même à plusieurs générations de distance.

On se gardera d’aborder ici les dérives des taupins et carabins qui se gaussent des susdites “mers intérieures” en les associant à la forte proportion de jeunes filles parmi les Initiées Cartographes : notre lecteur les devinera sans mal, et conviendra avec nous que leur valeur scientifique est nulle.

La lecture étymologique est plus féconde, lorsqu’on rappelle la dénomination par les Anciens de Mare nostrum (“notre mer”) et Mare internum (“mer intérieure”) pour désigner la même étendue d’eau, la mieux connue d’eux, au cœur de leur monde. C’est aujourd’hui l’explication la plus répandue — et la mieux étayée scientifiquement.

En effet, les branches* ayant été théorisées par AMONUTE* Matatiske, fondatrice de la Cartographie moderne, il semble clair que cette vision politique de la mer intérieure devait être au cœur de sa pensée. Amonute* était bien placée pour comprendre que nommer une terra incognita* revenait à en prendre possession, et que nommer une mer intérieure revenait à prendre possession de tous ses rivages. C’est en Cartographiant la sienne — l’étendue aujourd’hui communément nommée Mer Douce ANISHINAABE* — qu’elle a ultimement permis à son peuple d’échapper à la colonisation.

Pour un futur Cartographe, il s’agit donc de repérer sa propre mare nostrum, afin de savoir d’où il pense, d’où il parle, quel est son système de valeurs, et de là quel est, très concrètement, le centre de sa Carte.

Bible des Cartographes, cinquième édition, an de grâce 1902