J’avais atterri sur un drapé de satin sous une lumière bleutée qui éteignait cruellement les couleurs de mon nouvel environnement. Je ne m’étais même pas fait mal. Pourtant je ne nierai pas que l’angoisse m’étreignait déjà le dos tant rien ne se déroulait selon la routine immuable. Le paysage s’étendait tout autour déjà établi. Des milliers de coussins parsemaient des vallons et des collines d’édredons. De temps en temps, un traversin courbait à la manière d’un vieil arbre, une couverture filait telle une rivière sans que je discerne son ourlet final. Et le tissu luisait comme une orgueilleuse soie malgré la faible luminosité. Quant à moi, je ne rayonnai pas de ma simple présence. Mes pas n’étiraient en aucune façon la prairie d’un rêve plaisant et je ne vis pas où je pourrais tenter de projeter mon regard pour connaitre les désirs et les besoins de l’âme qui dormait. Alors je me mis à explorer. Je commençai à songer que j’aurais beaucoup apprécié la compagnie riante de Gabuchon quand une nouveauté étincelante vint briser la monotonie grisâtre de cet univers. Perchée sur un monticule de satin souple, je distinguai ce qui ressemblait à une petite tour surmontée d’un dôme. Je peinais cependant à détailler la construction, car elle luisait d’un éclat aveuglant comme si le soleil l’avait frappée de sa lumière, en plein midi un jour d’été.
Je gravis laborieusement le tissu qui glissait sous mes pas et atteins ce qui se révéla être un kiosque doré de la plus fine des feuilles du précieux métal. Au centre se dressait un trône et sur ce trône, je découvris avec un chatouillement d’inquiétude au creux des reins, la silhouette sublime d’une femme. Grande, pâle, vêtue de voiles blancs aussi souples que ceux de ces vallons, elle rayonnait autant que son écrin de colonnes. Ses cheveux blonds se réunissaient en de noueuses tresses puis se débridaient à l’arrière du crâne en de longues mèches galopantes sur son dos dénudé. Son cou démesuré s’attachait sur une poitrine musculeuse. Ses membres sculptés reposaient immobiles devant elle sans que je doute le moins du monde qu’ils pourraient s’animer d’un seul coup avec puissance. Sa présence même emplissait l’air d’une animalité échauffée et je me sentis soudain toute petite, miteuse avec mes toiles accrochées à mes boucles, affreuse et rabougrie. Elle posa son regard d’or sur moi. Ses lèvres recouvertes du même s’ouvrirent et elle parla d’une voix hennissante.
— Enfin, quelqu’un ! Tu devais t’avancer bien sûre de toi pour t’engager par ce passage lézardé. Ou bien tu es fort maladroite.
— Maladroite certainement pas ! Peut-être un peu empressée pour une fois.
— Empressée et fière, cela me sied ! Viens avec moi.
Alors, comme je l’avais imaginé, elle anima son grand corps de gestes majestueux. Elle descendit son encolure à ma hauteur, frôlant de ses lèvres mon front et me souleva d’un bras. Elle me cala sur sa hanche et s’élança dans la pente de draps. Je m’accrochai à ses voiles bien consciente déjà qu’elle cherchait à me posséder par quelconque magie née de sa course. Elle enserra mon dos. Son rire s’envola dans le vent et je sus que je devais agir maintenant ou bien servir un étrange dessein qui n’était certainement pas le mien. Je tirai sur ma besace et y plongeai la main en espérant de toute mon âme que mes doigts y trouveraient vite ma solution visqueuse.