J’aime cet instant du récit où, comme la vague vient enrober le sable humide d’une caresse alanguie, l’enfant qui écoute, l’œil qui lit, le grand-père qui raconte, renoncent à d’autres péripéties puisque la fin du jour approche.

John Matatiske, le petit frère de Marla resté dans la ville légendaire de Stella Cognita cultiva toujours le souvenir de son aïeul, conteur d’histoires, et de sa sœur libanoï qui n’avait pu que rejoindre son élément. Ces soirées passées au coin du feu lui avaient enseigné l’âpreté de la mer et de la vie des femmes et des hommes qui s’y liaient par nécessité, par fascination ou par héritage ; aussi ne conservait-il aucune rancune ou mélancolie. Il mena sa propre existence, fut parmi les libérateurs de la cité qu’ils rebaptisèrent Urbs Cognita, se maria et eut beaucoup d’enfants.

Bientôt, la légende des départs vers la Terra Incognita s’éroda tout comme le nom du dernier port de l’ouest se simplifia, perdant de sa superbe, s’ancrant plus à la terre. Il devint Urbita, et nombreux marins et notables oublièrent. Seule la famille Matatiske garda dans les voiles de sa prospérité le souffle de ces temps anciens.

De génération en génération, je les ai souvent observés descendre sur la plage dans une joyeuse procession comme s’ils désiraient s’abaisser au niveau de la mer, embrasser leur insignifiance devant les mystères insondables de ses profondeurs et l’immensité de son miroir céleste. Ils y allumaient un feu, dinaient alors que le soleil s’inclinait vers l’horizon, buvaient, chantaient tandis que les enfants détrempaient leurs habits immanquablement. Ils s’y attardaient toujours dans ce fabuleux rituel.

Oublieux de leur propre participation au merveilleux, les mères volubiles, les pères timides, les grands-pères bourrus, les grands-mères pointilleuses, les filles hésitantes, les garçons maladroits, tous narrèrent en leur temps et à leur manière l’histoire d’une terrible femme et surtout des deux sœurs dissemblables qui sauvèrent la magie des océans par leur simple légende. Cette histoire raconte qu’elles ne se quittèrent jamais, qu’elles demeurèrent l’une à côté de l’autre, à la limite de l’eau et du ciel.

N’importe qui vous le dira dans la famille Matatiske, lorsque le soleil atteint enfin l’horizon, le conteur doit avoir conclu son récit, car l’assemblée s’en désintéressera pour guetter la douce étreinte. Ils prétendent qu’à la crête de l’orbe vibrant nait souvent, pour qui sait le concevoir, un rayon qui vient caresser les vagues d’un émeraude d’algue ou d’aurore boréale. Alors, à la limite du jour et de la nuit, on peut apercevoir le baiser affectueux de Marla et de Junia.

 

Et Margriet, me demanderez-vous ?

Margriet ?

Margriet !

Vous l’aurez cherché, aussi userai-je d’un ressort facile en vous rétorquant que ça, c’est une autre histoire !